«Pour fixer les populations, développons l’agriculture africaine !»
Tribune par Abbas Jaber, publiée dans Le Figaro le 04/06/2018
«Pour fixer les populations, développons l’agriculture africaine !»
Tribune par Abbas Jaber, publiée dans Le Figaro le 04/06/2018
Les images de milliers de femmes, hommes et enfants risquant, tous les jours, leur vie pour traverser terres et mers et arriver en Europe sont insoutenables.
Si l’Europe ne peut évidemment pas, selon la formule célèbre, «accueillir toute la misère du monde», elle ne peut pas non plus se contenter de détourner les yeux de ce spectacle et fermer ses frontières sans participer à l’élaboration de solutions réalistes et constructives.
L’Afrique est, dans le même temps, un continent riche qui a deux atouts majeurs pour s’en sortir: son dynamisme et la jeunesse de ses peuples (près de 380 millions de personnes entrant sur le marché du travail d’ici à 2030) et la richesse de ses terres (65 % des réserves foncières disponibles mondiales).
Les solutions existent donc. Et il s’en faudrait de peu pour que la tendance s’inverse et que les aspirants à l’émigration estiment jouable, voire avantageux, de rester au pays et non plus d’émigrer. Alors que faire, et quelles sont ces solutions?
L’une des clés du problème est de revitaliser, restructurer et développer les filières agricoles locales qui sont aujourd’hui exsangues mais dont le potentiel est extraordinaire. Ici, l’idée simple est d’aider les jeunes d’Afrique qui le souhaitent à se fixer sur leurs terres et à y obtenir un niveau de vie supérieur à celui qu’ils auraient eu s’ils avaient tenté l’aventure, risquée, de l’émigration.
Cette démarche suppose une remise à plat et une réforme des mécanismes de soutien des États africains à leur propre agriculture. Elle suppose, pour les États européens, de travailler main dans la main avec eux à la création d’infrastructures pérennes (routes, écoles, centres de soins), à la mise en place de cadres (juridiques et fiscaux) plus rassurants pour les investisseurs et, surtout, à la fourniture d’énergie et de crédits à un meilleur marché (les fondamentaux en Afrique n’ont jamais été aussi bons ; les cours des matières premières agricoles sont au plus haut et vont certainement le rester ; l’eau et la main d’œuvre abondent ; mais l’énergie chère et le loyer de l’argent sont, aujourd’hui, des obstacles au décollage du continent !).
Mais cela suppose, surtout, des entreprises qui comprennent l’enjeu et promeuvent, dans les bassins agricoles et au-delà, un petit entrepreneuriat créateur d’emplois, faisant sa part à la culture vivrière et permettant à ceux qui le souhaiteront de rester dans leurs pays.
L’idée concrète que lance aujourd’hui l’association « Patrons Sans Frontières » est de créer une nouvelle structure qui regroupera tous les acteurs: les gouvernements, les représentations diplomatiques, les entreprises européennes implantées en Afrique, ainsi que les entreprises africaines présentes dans les secteurs clés.
Cette structure recevra, étudiera et traitera les projets entreprenariaux. Elle garantira, grâce à ses entreprises adhérentes, et à l’intérieur des filières intégrées existantes, un nombre d’emplois minimum à ces candidats. Elle encouragera, dans les zones cotonnières notamment, la création de petites exploitations agricoles modernisées de quelques hectares dont une quote-part sera impérativement réservée aux candidats.
Parce qu’il faut un à deux ans pour devenir un agriculteur professionnel et autonome, et que les centres de «rattrapage à la formation» ne sont rentables qu’indirectement et à moyen terme, les entreprises adhérentes au projet solliciteront le soutien d’organismes financiers de développement (AFD, BEI, BPI…) ainsi que des organismes de l’Union européenne et des États africains.
Mais le gros de l’effort reposera sur les épaules des entrepreneurs eux-mêmes qui devront admettre que les pouvoirs politiques sont parvenus, face au drame de l’émigration de masse, aux limites de leurs capacités et que c’est désormais à eux de reprendre le flambeau et d’assumer leur responsabilité historique vis-à-vis des générations futures.
Ainsi, les pays d’Afrique commenceront de freiner l’exode rural, de limiter la surpopulation de leurs villes et d’offrir aux leurs un revenu, une éducation, une qualité de vie, un accès à la santé, leur permettant d’envisager l’avenir sans avoir à émigrer.
Ce sera gagnant pour le monde qui, si rien ne change et si ne sont pas mises en valeur les dernières terres disponibles que sont les terres africaines, risque de vivre, d’ici vingt ans, en état de disette chronique.
La France, par son histoire et ses valeurs, se doit d’ouvrir la voie. La France dont le président de la République, Emmanuel Macron, a, au Sénégal, en février dernier, puis au Burkina, posé dans des termes nouveaux la question de la coopération des deux continents peut lancer le mouvement.
Pourquoi pas une COP consacrée à l’Afrique et à la question de la fixation de la population? Pourquoi pas, à Paris, des états-généraux des nouvelles migrations qui, avec la participation des politiques, des entrepreneurs africains et européens, des bailleurs de fonds et des organismes publics (l’OFII, Office Français de l’Immigration et de l’Intégration), ouvriraient le grand chantier du développement de ce qui sera, demain, le futur grenier du monde ?
Que les États créent le cadre: les entrepreneurs feront le reste! Qu’ils définissent les termes d’un nouveau contrat social intercontinental réunissant les forces vives des deux continents: les entrepreneurs s’engageront. Qu’ils nous aident à tordre le cou à un mythe qui a la vie dure et qui est celui de ce fameux «risque Afrique» dont le martèlement a pour effet, depuis des décennies, de faire monter à des taux d’intérêt prohibitifs les capitaux empruntés depuis les pays d’Afrique en raison d’une supposée «instabilité» et nous, les entrepreneurs, œuvrerons à créer ce petit entrepreneuriat local qui manque si cruellement à l’Afrique.
C’est comme cela, et comme cela seulement, que le double mal de la grande migration et de la misère pourra être traité à la racine.
Abbas Jaber, président de l’association Patrons Sans Frontières.
Tribune publiée dans Le Figaro le 04/06/2018